top of page
Rechercher

La précarité et la santé mentale des personnes sans-abri

Pour la troisième conférence de son cycle annuel, l’association Une Couverture Pour l’Hiver a décidé d’aborder les effets psychologique du sans-abrisme. Près d’une centaine de personnes se sont réunies à la Fabrique de la solidarité en présence de trois intervenants spécialisés apportant leur regard et leur expérience sur les conséquences de la vie à la rue sur la santé mentale des personnes sans-abri.


  • Sylvie Zucca - Médecin du travail, psychiatre, psychanalyste et formatrice auprès de travailleurs sociaux, Sylvie Quesemand Zucca a été membre de l’équipe mobile Souffrance et précarité de l’hôpital Esquirol dans le Val-de-Marne, appartenant au réseau national du même nom qui intervient avec le Samusocial de Paris auprès des personnes sans-abri dans la rue ou les centres d’hébergement.

  • Alain Mercuel - Psychiatre au Centre Hospitalier Sainte-Anne à Paris et chef du service Santé mentale et exclusions sociales, Alain Mercuel dirige l’équipe mobile Psychiatrie-précarité dont la mission est d’aller vers les personnes en grande précarité et présentant des difficultés psychologiques. Il a également publié l’ouvrage ​"Souffrance psychique des sans-abri : Vivre ou survivre".

  • Gaëtan Langlard - Enseignant à l’Université de Rouen, docteur en psychologie et psychopathologie, auteur de la thèse "Approche en santé mentale des SDF en lien avec leur type de prise en charge par le dispositif d'aide sociale", Gaëtan Langlard est membre d’Insersanté, une équipe pluridisciplinaire de travailleurs sociaux qui se mobilisent face aux troubles psychologiques liés à la précarité.

L’enquête Samenta conduite à l’hiver 2009 auprès de 840 personnes sans logement en Île-de-France a souligné la prévalence de la souffrance psychique chez les individus en situation de précarité : 32% des personnes interrogées présentaient un trouble psychiatrique sévère (troubles psychotiques, troubles anxieux et troubles de l’humeur). Les conditions précaires de vie à la rue et la rupture sociale renforcent les risques de développement des troubles mentaux avec des états psychotiques (13% contre 2%) et des états dépressifs graves (7% contre 4,2%) bien plus présents qu’au sein de la population globale.

De nombreux profils se retrouvent ainsi parmi les personnes sans-abri souffrant de troubles mentaux. Il peut tout d’abord s’agir d’individus ayant été confrontés à des chocs traumatiques. C’est notamment le cas des exilés au cours de leur parcours migratoire (mutilations, viols, tortures, abus des passeurs, etc.).

Au-delà de la souffrance réactionnelle, des troubles peuvent se développer au cours de l’enfance pour des individus n’ayant pas été en mesure d’établir des liens durables avec un entourage stable. En l’absence d’une figure d’attachement, permettant une construction sociale et émotionnelle apaisée de l'enfant, un sentiment de défiance vis-à-vis de l’autre peut se développer, contribuant ainsi à l’isolement et à l’apparition de troubles psychiatriques. Des conduites d’auto-défense se développent tel un système de protection et peuvent se manifester par des comportements empreints de brutalité et de violence. Dans son rapport 2019 sur l’état du mal-logement, la Fondation Abbé-Pierre a souligné le lien entre enfance perturbée et précarité : un quart des personnes sans-domicile sont d’anciens enfants placés et passés par l’aide sociale à l’enfance.

Tandis que l’accès aux soins repose en premier lieu sur la demande expresse des personnes souffrantes, la formulation et la communication de cette souffrance sont difficiles. La médiation par le corps, en s’intéressant en premier lieu aux troubles physiques, permet d’établir un lien avec les personnes sans-abri avant de poursuivre, si nécessaire, par un accompagnement psychologique. L’exclusion et l’isolement des personnes sans-abri rendant complexes la prise en charge de leurs troubles psychiatriques, il est dès lors important de renforcer les dispositifs extérieurs allant à leur rencontre. Sylvie Zucca et Alain Mercuel rappellent les nombreux refus auxquels les équipes mobiles doivent faire face. Pour autant, ces sollicitations répétées sont nécessaires dans la construction d’un lien avec la personne souffrante. Ce dernier ne se peut se faire en une rencontre ; l'effort de répétition permet de tisser un lien durable et d’apporter une aide adaptée.

La prise en charge et l’accompagnement des personnes souffrant de troubles mentaux doivent être conduits avec mesure et responsabilité. Reprenant les mots de l’Abbé Pierre - "La première règle avant d’agir consiste à se mettre à la place de l’autre" - Alain Mercuel nous met en garde sur les risques de rupture que peut provoquer la prise en charge. Il peut s’agir d’une séparation avec un compagnon de vie ou bien de la perte d’un animal. Avant de proposer de l’aide et de prolonger l’accompagnement, il est important de réfléchir aux conséquences des traitements et à leurs modalités.

bottom of page